La petite princesse
J'ai rédigé ce texte en octobre 2004.
Lison rentrait en secteur stérile, en cure d'intensification. Elle supportait très mal le traitement, je ne l'avais jamis vue comme ça... Au plus profond de moi, je sentais bien que les choses n'allaient pas, je le disais aux médecins mais mes paroles restaient lettres mortes...
Quand elle est entrée en intensification, elle était en rémission... Quand elle en est sortie deux mois plus tard nous avons attaqué les soins palliatifs...
Les mots de Saint-Ex ne sont pas entre guillemets car ici il n’y a pas de citation à proprement parler.
Ces mots je les ai faits miens, parfois un peu transposés, transformés mais vous les reconnaîtrez.
Quelque chose s’était cassé dans mon moteur et je me préparais à essayer de réussir, toute seule, une réparation difficile…
J’étais bien plus isolée qu’un naufragé sur un radeau au milieu de l’océan…
Alors imaginez ma surprise quand une drôle de petite voix m’a réveillée :
- S’il te plait…Dessine-moi un soleil !
- Mais pourquoi un soleil ?
- Parce que dehors il est parti le soleil et comme ça j’en ai toujours
avec moi ! Et puis un cœur aussi, comme ça je le regarde quand t’es pas
là…
Je suis sortie de mes rêves et j’avais là, devant moi, un petit bout de bonne femme tout à fait extraordinaire.
Un très fin duvet blond qui recouvre une tête adorable
Des yeux immenses, privés de cils, qui vous plongent dans un océan de bonheur.
Elle était très sérieuse dans sa requête.
Elle était très sérieuse comme lorsqu’elle range des bisous dans sa poche pour plus tard…
-Tu m’en as déjà fait plein ! Celui-là je le garde, comme ça si je me réveille c’est comme si t’étais là.
Et de m’envoyer à son tour un tour dans un souffle un baiser à ranger et à ressortir pour des moments plus difficiles…
La Petite Princesse, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes…
Mais dis-moi, Petite Princesse,
Dis-moi, elle est où ta planète ?
Raconte moi où tu pars quand ton regard devient si vide, quand tu n’entends plus rien.
Elle est où cette planète dont le soleil brille sans cesse ?
Cette planète peuplée de crocodiles, de serpents, de fées et de soleils qui ne s’éteignent jamais…
Cette planète où les paons volent en faisant la roue…
-Quand je serais grande je vais me faire pousser des ailes sur les fesses pour aller très loin dans le ciel !
-Tu as le temps pour ça mon amour…
-Non ! Je vais aller là haut et t’acheter plein d’étoile !
Dans ces moments là les étoiles, c’est sur mes joues qu’elles brillent…
Mais dis-moi, Petite Princesse,
Dis-moi, elle est où ta planète ?
Raconte-moi là-bas.
Laisse-moi venir avec toi.
Ne me laisse pas si seule dans cette pièce si blanche, devant ce corps si vide…
Que vois-tu là bas ?
C’est comment ?
Fait-il beau ?
Fait-il gris ?
Tes crocodiles, ils sont méchants ?
Es-tu au pays des fées, ma douce ?
Es-tu dans une trop dure réalité ?
On me parle de l’imagination des enfants…
Je ne sais pas si tu t’évades où si tu es prisonnière d’un pays trop dur pour toi…
Je ne sais pas où tu vas…
Il y a ce voile devant tes yeux qui m’empêche de voir.
Tu as construit une coquille sur ton cœur, petit escargot de douleur.
Je sais bien que tu as des muscles gros comme ça…mais laisse moi porter ce poids bien trop lourd pour toi…
Cesse de me protéger, laisse moi souffrir pour toi qui ne le mérites pas…
Dis-moi, Petite Princesse,
Dis-moi, elle est où ta planète ?
Tu vas si loin parfois…
Et tu y vas de plus en plus souvent…
Mais qu’y a-t-il donc là-bas qui puisse bien t’entraîner si loin de moi ?
Tu es tellement petite.
Ne me lâche pas la main.
J’ai tellement peur que tu ailles trop loin,
Que tu la lâches, cette main,
Que tu te perdes,
Que tu ne reviennes plus…
Ta chambre.
C’est pour moi le plus beau et le plus triste paysage du monde…
C’est ici que tu as apparu sur terre…
Un carillon d’étoiles tinte encore à ta porte…
Qu’il puisse tinter longtemps…
Je ne sais pas où tu vas Petite Princesse
Je sais que tu y vas…
Je ne sais toujours pas où elle est ta planète…
Si un jour une enfant vient à vous, si elle rie, si elle a un duvet d’or en guise de cheveux, si elle ne répond pas quand on l’interroge, alors vous devinerez bien qui elle est…
Petite Princesse,
Moi je vais t’attendre là,
Juste sous les étoiles…
Je vais pleurer sûrement,
Mais j’y gagne,
A cause des tes éclats de rire qui résonnent encore
A cause de la couleur du blé…